Chapitre IX
De l’augmentation des revenus des collèges
01. Que personne, autant qu'il sera possible, ne soit admis au dernier vœu, pendant qu'il attend quelque succession, à moins qu'il n'ait un frère plus jeune que lui dans la Société, ou à cause d'autres raisons graves. Surtout et avant toutes choses, il faut travailler à l'augmentation de la Société, selon les fins qui sont connues aux supérieurs, qui doivent au moins s'accorder en cela, qu'à la plus grande gloire de Dieu, l'Église soit rétablie dans son premier éclat, en sorte qu'il n'y ait qu'un seul esprit dans tout le clergé. C'est pourquoi il faut dire souvent et publier fréquemment que la Société est composée en partie de professes si pauvres qu'ils manqueraient de tout sans les libéralités quotidiennes des fidèles ; et, en partie d'autres pères qui sont pauvres, mais qui possèdent des biens immeubles, pour n'être pas à charge au peuple, dans leurs études et dans leurs fonctions, comme les autres mendiants. Que les confesseurs, donc des princes, des grands des veuves et des autres de qui notre Compagnie peut beaucoup espérer; tees en instruisent sérieusement, afin que, puisqu'on leur donne les choses spirituelles et éternelles, on en reçoive les terrestres et temporelles, et qu'ils ne laissent échapper aucune occasion de recevoir, quand on leur offre. Que si l'on a promis et que l'on diffère, il faut prudemment en faire ressouvenir, en dissimulant, autant qu'il est possible, l'envie que l'on a d'être riche. Que si quelqu'un des confesseurs des grands ou des autres ne parait pas assez adroit pour pratiquer tout cela, il faut lui ôter cet emploi en temps opportun, avec prudence, et en mettre un autre en sa place,; et, s'il est nécessaire, pour la plus grande satisfaction des pénitents, qu'on le relègue à des collèges plus éloignés, en disant que la Société a besoin de sa personne et de ses talents en ces lieux-là ; car nous avons appris, il n'y a pas longtemps, que de jeunes veuves, mortes avant le temps, n'avaient pas légué" des meubles fort précieux à nos églises, par la négligence des nôtres, qui ne les avaient pas acceptés à temps. Pour accepter de semblables choses, il ne faut pas regarder les temps, mais la bonne volonté du pénitent.
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02. Il faut employer diverses adresses pour attirer les prélats, les chanoines et les pasteurs, et les autres ecclésiastiques riches à des exercices spirituels, et, peu à peu, par le moyen de l'affection qu'ils ont pour les choses spirituelles, les gagner à la Société, et ensuite pressentir leur libéralité.
03. Que les confesseurs ne négligent pas de demander à leurs pénitents (pourvu néanmoins qu'ils le fassent à propos) quel est leur nom, leur famille, leurs parents, leurs amis, leurs biens et, ensuite, 'de s'informer de leurs successions, de leur état, de leurs intentions et de leur résolution ; crue, s'ils ne l'ont pas encore prise, il faut tâcher de la rendre favorable à la Société. Que si, d'abord on conçoit l'espérance de quelque profit, parce qu'il n'est pas à propos de demander tout en même temps qu'on leur ordonne que, pour se décharger d'autant plus la conscience ou pour faire une pénitence qui les guérisse, ils se confessent. Que le confesseur les invite honnêtement, afin qu'il s'informe à plusieurs reprises de ce dont il n'a pu être informé en une seule fois. Si cela réussit, et que ce soit une femme; il faut l'engager, par tous les moyens possibles, à se confesser souvent et à visiter souvent l'Église; si c’est un homme, à fréquenter 1a Compagnie, et à devenir familier avec les nôtres.
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04. Ce que l'on a dit des veuves, il faut aussi entendre qu'on l'a dit des marchands, des bourgeois riches et mariés, mais sans enfants, desquels la Société peut être souvent l'héritière, si l'on emploie prudemment les pratiques que l'on a manquées ; mais il faudra surtout observer ce que l'on a dit à l'égard des dévotes riches qui fréquenteront les nôtres, et dont le vulgaire peut tout au plus murmurer si elles ne sont pas de ,grande qualité.
05. Les recteurs des collèges s'efforceront d'avoir connaissance des maisons, des jardins, des fonds des vignes des villages et des autres biens qui sont possédés par la principale noblesse, par les marchands, ou par les bourgeois, et, si cela se peut, des intérêts et des charges qu'ils ont à payer ; mais il faut s'y prendre avec adresse, et d'une manière efficace par la confession, par la familiarité et par les entretiens particuliers. Lorsqu'un confesseur a .trouvé un pénitent riche, qu'il en avertisse d'abord le recteur, et qu'il l'entretienne en toutes manières.
06. Le point capital de toute l'affaire consiste en ceci : c'est que tous nos gens sachent gagner, la bienveillance de leurs pénitents et de tous les autres avec lesquels ils conversent, et s'accommoder à l'inclination de chacun ; c'est pourquoi, que les provinciaux fassent an sotte que l'on en envoie beaucoup dans les lieux habités par les riches et les nobles, et afin que les provinciaux le puissent faire avec plus de prudence et de bonheur, que les recteurs se souviennent de les informer à propos de la moisson qu'il y a à faire.
07. Qu'ils s'informent si, en recevant les enfants dans la Compagnie, ils pourront s'attirer les contrats et les possessions, et si cela se peut faire, qu'ils s'informent s'ils céderont quelques-uns de leurs biens au collège ou par contrat, ou en les louant, ou autrement, ou s'ils reviendront après quelque temps à la Société ; pour laquelle fin il faudra faire connaître, principalement à tous les grands et aux riches, ses besoins et les dettes dont elle est chargée.
08. S'il arrive que les veuves, ou les mariés riches et attachés à la Compagnie n'aient que des filles, les nôtres les 'disposeront doucement à choisir une vie dévote ou religieuse. afin qu'en leur laissant quelque dot, le reste des biens revienne peu ,à peu à la Société ; que, s'ils ont des fils qui soient propres à la Compagnie, on les y attirera, et on fera entrer les autres en d'autres religions en leur promettant une certaine petite somme ; mais, s'il n'y a qu'un fils unique, .on l'attirera à quelque prix que ce soit à la Compagnie, et on lui ôtera toute sorte de crainte de ses parents ; on lui inculquera la vocation de Jésus-christ, en lui montrant qu'il fera un sacrifice agréable à Dieu, s'il s'enfuit à l'insu de son père et de sa mère et malgré eux ; qu'on l'envoie ensuite à un noviciat éloigné, après en avoir informé auparavant le général. Que, s'ils ont des fils et des filles, que l'on dispose auparavant les filles à la vie dévote, et l'on fera entrer ensuite les fils dans la Compagnie, 4vec la succession des biens.
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09. Que les supérieurs avertissent fortement et doucement les confesseurs de ces veuves et de ces gens mariés, afin qu'ils s'emploient utilement pour la Société, selon ces instruction ; s'ils ne le font pas qu'on en mette d'autres en leur place, et qu'on les en éloigne, en sorte qu'ils ne puissent pas entretenir de relations avec cette famille.
10. Que l'on amène les veuves et les autres personnes dévotes, qui tendent avec ardeur à la perfection à céder toutes leurs possessions à la Société, et à vivre de ses revenus, dont on leur fera part perpétuellement, selon qu'elles en auront besoin pour servir plus librement Dieu, sans soins et sans inquiétude, comme tétant le moyen le plus efficace pour parvenir au faîte de la perfection.
11. Afin de mieux persuader au monde 1a pauvreté de la Société, que les supérieurs empruntent de l'argent des personnes riches attachées à la Compagnie, .sur des billets de leur main dont le paiement sera différé ; qu'ensuite, principalement dans les temps d'une maladie dangereuse, on visite constamment une telle personne et qu'on la prévienne en sorte qu'on l'engage à rendre le billet, car ainsi il ne sera pas fait mention des nôtres dans le testament, et néanmoins nous y gagnerons, sans nous attirer la haine de ceux qui succéderont à leurs biens.
12. II sera aussi à propos de prendre de quelques personnes de l'argent à, intérêt annuel, et de le placer ailleurs à un plus gros intérêt, afin que ce revenu récompense l'autre ; car cependant il pourra arriver que ces amis, qui auront ainsi prêté de l'argent, touchés de pitié pour nous, nous abandonneront l'intérêt ou même de plus le capital, soit par testament, soit par dotation entre-vifs, quand ils verront que l'on fait des collèges ou que l'on bâtit des églises.
13. La Compagnie pourra, aussi négocier avec fruit sous le nom de marchands riches qui lui seront attachés ; mais il faut rechercher un profit certain et abondant, même dans les Indes, qui jusqu'à présent, avec le secours de Dieu, ont non seulement fourni des âmes, ?nais encore de grandes richesses à la Société.
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14. Que les nôtres aient, dans les lieux où ils résident, quelque médecin dévoué à la Compagnie, qu'elle recommande principalement aux malades et qu'elle élève au-dessus de tous les autres, afin que, recommandant à son tour les nôtres au-dessus de tous les autres religieux, il fasse que nous soyons appelés auprès des principaux malades et surtout des moribonds.
15. Que les confesseurs visitent les malades avec assiduité, surtout ceux qui sont en danger ; et, pour en chasser honnêtement les autres religieux et ecclésiastiques, que les supérieurs fassent en sorte que, lorsque le confesseur est obligé de quitter le malade, un autre lui succède et entretienne le malade dans ses bons desseins. Cependant, il faut lui faire peur prudemment de l'enfer, etc., ou au moins du purgatoire, et lui apprendre que comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint le péché, et que l'on ne peut mieux employer ses aumônes qu'à la nourriture et à l'entretien des personnes qui, par leur vocation font profession d'avoir soin du salut du prochain ; qu'ainsi il aura part à leurs mérites, et que le malade satisfera pour ses propres péchés, parce que la charité en couvre une multitude. On peut aussi décrire la charité comme l'habit nuptial sans lequel personne n'est reçu à la table céleste. Enfin, il lui faudra alléguer les passages de l'Écriture et des saints Pères, qui, eu égard à la capacité du malade, seront les plus efficaces pour l'émouvoir.
16. Que l'on apprenne aux femmes qui se plaindront des vices de leurs maris et des chagrins qu'ils leur causent qu'elles peuvent leur ôter secrètement quelques sommes pour expier les péchés de leurs maris et leur obtenir grâce.
Chapitre X
De la rigueur particulière de la discipline dans la Société
01. Il faudra congédier comme ennemi de la Société, quels que soient sa condition ou son âge, celui qui aura détourné nos dévots ou nos dévotes de nos églises, ou de la fréquentation des nôtres, ou qui aura détourné des aumônes à d'autres églises, ou à d'autres religieux, ou qui aura dissuadé quelque homme riche et bien disposé pour la Société de lui en faire ou qui, dans le temps auquel il aura pu disposer de ses propres biens, aura témoigné plus d'affection pour ses parents que pour la Société (car c'est une grande marque d'un esprit non mortifié, et il faut que les profès soient tout à fait mortifiés), ou qui aura détourné des aumônes des pénitents, ou des amis de la Société, pour les donner à ses parents pauvres. Mais, afin qu'ils ne se plaignent pas ensuite de la cause de leur éloignement, qu'on ne les renvoie pas d'abord, mais qu'on les empêche premièrement d'entendre les confessions, qu'on les mortifie et les fatigue par les offices les plus vils ; il faut les contraindre de jour en jour de faire des choses pour lesquels on sait qu'ils ont la plus grande répugnance ; qu'on les éloigne des études les plus relevées et des charges honorables; qu'on les censure dans les chapitres et dans les réprimandes publiques; qu'on leur ôte, dans leurs habits et dans leurs meubles, tout ce qui n'est pas tout à fait nécessaire , jusqu'à ce qu'ils en viennent au murmure et à l'impatience, et qu'alors on les congédie comme des gens peu mortifiés, et qui peuvent être dangereux pour les autres par leur mauvais exemple ; et, s'il faut rendre raison aux parents et aux prélats de l'Église de ce qu'on les a congédiés, que l'on dise qu'ils n'avaient pas l'esprit de la Société.
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02. Il faudra encore congédier ceux qui feront scrupule d'acquérir des biens à la Société, et dire qu'ils sont attachés à leur propre jugement; que s'ils veulent rendre raison de leur action devant les provinciaux, il faut dire qu'ils sont trop adonnés à leur propre sens ; il ne les faut pas écouter, mais les obliger à observer la règle qui les oblige tous à une obéissance aveugle.
03. Il faudra considérer, dès le commencement et depuis leur jeunesse, quels sont ceux qui sont les plus avancés dans l'affection envers la Société et ceux que l'on connaîtra avoir de l'affection envers les autres ordres, ou les pauvres, ou leurs parents. Il les faudra peu à peu disposer, comme l'on a dit à sortir comme étant inutiles.
Chapitre XI
Comment les nôtres se conduiron d’un commun accord envers ceux qui auront été congédiés de la Société
01. Comme ceux que l'on aura mis dehors savent au moins quelques-uns des secrets, le plus souvent ils nuisent à la Compagnie. C'est pourquoi voici comment il faudra s'opposer à leurs efforts. Avant de les mettre dehors, il faudra les obliger à promettre par écrit, et à jurer qu'ils ne diront ni n'écriront jamais rien de désavantageux à la Compagnie ; que cependant les supérieurs gardent par écrit leurs mauvaises inclinations, leurs défauts et leurs vices, qu'eux-mêmes auront découverts pour la décharge de leur conscience, selon la coutume de la Société, et desquels, s'il est nécessaire, on puisse se servir auprès des grands et des prélats pour empêcher leur avancement.
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02. Que l'on écrive incessamment à tous les collèges ceux qui auront été mis dehors et que l'on exagère les raisons générales de leur éloignement ; tels que sont le peu de mortification de leur esprit, la désobéissance, le peu d'attachement aux exercices spirituels, l'entêtement pour soi-mêmes etc. Qu'ensuite on avertisse tous les autres de n'avoir point de correspondance ;avec eux ; et si l'on parle avec les étrangers que le langage de tous soit le même, et que l'on dise partout que la Société ne met personne dehors que pour de, grandes raisons, et que, comme la mer, elle rejette les cadavres, etc. Que l'on insinue aussi adroitement les raisons semblables pour lesquelles on nous hait afin que leur éloignement soit plus plausible.
03. Que, dans les exhortations domestiques, on persuade que, ceux que l'on a mis dehors sont des personnes inquiètes et qui voudraient bien rentrer dans la Société, et que l'on exagère les malheurs de ceux qui sont morts misérablement après être sortis de la Société.
04. Il faudra aussi aller au devant des accusations que ceux qui sont sortis de la Société peuvent faire, par l'autorité de personnes graves, qui disent partout que 1a Société ne met personne dehors que pour de grandes raisons et qu'elle ne retranche point les membres sains ; ce que l'on peut confirmer par le zèle qu'elle a et qu'elle témoigne en général pour le salut des âmes de ceux qui ne lui appartiennent pas ; et combien plus doit-elle être zélée pour le salut des siens !
05. Ensuite, la Société doit prévenir et obliger par toutes sortes d'offices les grands ou les prélats auprès de qui ceux que l'on a congédiés ont commencé à avoir quelque autorité ou, quelque crédit : il leur faudra faire voir que le bien commun d'un ordre aussi célèbre qu'utile à l'Église doit être de plus grande considération quo celui d'un particulier, quel qu'il puisse être ; que s'ils ont encore de l'affection pour ceux que l'on a mis dehors, il sera bon de leur apprendre les raisons de leur éloignement, et d'exagérer même les choses qui ne sont pas tout à fait certaines pourvu qu'on les pisse tirer par des conséquences probables.
06. Il faudra en toute manière empêcher que ceux-là principalement qui ont abandonné la Société de leur bon gré ne soient avancés à quelques charges ou dignités de l'Église, â moins qu'ils ne se soumettent, eux et tout ce qu'ils ont, à la Société, et que tout le monde puisse savoir qu'ils en veulent dépendre.
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07. Que l'on fasse de bonne heure en sorte qu'ils, soient éloignés, autant qu'il se peut, de l'exercice des fonctions célèbres dans l'Église, comme sont les sermons, les confessions, la publication des livres, etc. de peur qu'ils ne s'attirent l'affection ou l'applaudissement du peuple. Pour cela, il faudra faire, avec grand soin, recherche de leur vie et de leurs mœurs, des compagnies qu'ils fréquentent, de leurs occupations, etc., et pénétrer dans leurs intentions. C'est pourquoi il faudra faire en sorte d'avoir une correspondance particulière avec quelques-uns de ceux dé la famille chez laquelle ceux qui auront été congédiés demeureront. D'abord que l'on aura découvert quelque chose de blâmable ou digne de censure, il faudra le répandre par des gens de moindre qualité, et ensuite faire que les grands et les prélats qui favorisent ceux que l'on a mis dehors aient peur de l'infamie qui en pourrait rejaillir sur eux ; que s'ils ne font rien qui soit digne de censure et qu'ils se conduisent d'une manière louable, que l'on exténue par des propositions subtiles et des paroles ambiguës les vertus et les actions que l'on loue jusqu'à ce que l'estime que l'on en faisait et la foi que l'on y ajoutait soient diminuées ; car il importe tout à fait à la Société que ceux qu'elle a mis dehors, et principalement ceux qui l'ont abandonnée de leur bon gré, soient entièrement supprimés.
08. Il faut divulguer incessamment les malheurs et les tristes accidents qui leur arrivent en implorant néanmoins pour eux les prières des personnes pieuses, afin qu'on ne croie pas que les nôtres agissent par passion et que dans nos maisons on les exagère en toutes manières, afin de retenir les autres.
Chapitre XII
Qui l’on doit entretenir et conserver dans la Société
01. Les bons ouvriers doivent tenir la première place ; savoir ceux qui n'avancent pas moins le bien temporel que le bien spirituel de la Société ; tels que sont le plus souvent les confesseurs des princes et des grands, des veuves et des dévotes riches, les prédicateurs et les professeurs, et tous ceux qui savent ses secrets.
02. Ceux à qui les forces manquent, et qui sont accablés de vieillesse, selon qu'ils auront employé leurs talents pour le bien temporel de la Société, en sorte que l'on ait égard à la moisson passée, en outre que ce sont encore des instruments propres pour rapporte aux supérieurs les défauts ordinaires qu'ils remarquent dans les domestiques, parce qu'ils sont toujours à la maison.
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03. Il ne les faudra jamais mettre dehors, autant que 'cela se pourra faire, de peur que la Société n'ai: mauvaise réputation.
04. Outre cela il faudra favoriser tous ceux oui excellent en esprit, en noblesse et en richesses, particulièrement s'ils ont des amis et parents attachés à la Société et puissants, et si eux-mêmes ont une affection sincère envers elle, comme on l'a marqué ci-dessus ; il faut les envoyer à Rome ou aux universités plus célèbres, pour étudier, ou, s'ils ont étudié en quelque province, il faut que les professeurs les poussent avec une affection et une faveur particulières, jusqu'à ce qu'ils !aient cédé leurs biens à la Société ; qu'on ne leur refuse rien, mais, qu'après qu'ils l'auront fait, on les mortifie comme les autres, ayant néanmoins toujours quelque égard au passé.
05. Les supérieurs auront aussi des égards particuliers pour ceux qui auront attiré à la Société quelques jeunes gens choisis, puis qu'ils n'ont pas peu témoigné leur affection envers elle ; mais pendant qu'ils n'ont pas encore fait profession, il faut prendre garde de n'avoir pas trop d'indulgence pour eux, de peur que peut-être ils ne ramènent ceux qu'ils ont amenés à la Société.
Chapitre XIII
Du choix que l’on doit faire des jeunes gens
pour les admettre à la Société, et de la manière de les retenir
01. Il faut travailler avec beaucoup de prudence à choisir des jeunes gens de bon esprit, bien faits, nobles, ou du moins qui excellent dans l'une de ces deux choses.
02. Pour les attirer plus facilement à notre institut, il faut que, pendant qu'ils étudient, les recteurs de collèges et les maîtres qui les instruisent les préviennent, d'une affection particulière et hors du temple à l'école, il faut qu'ils leur fassent voir combien il est agréable à Dieu si quelqu'un se consacre à lui avec tout ce qu'il a, particulièrement dans la Société de son Fils.
03. Qu'on les mène, quand l'occasion s'en présente, par le collège et par le jardin, et même quelquefois aux métairies; qu'ils soient avec les nôtres dans le temps des récréations, et qu'ils leur deviennent peu à peu familiers, en prenant garde néanmoins que la familiarité ne produise le mépris.
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04. Qu'on ne permette pas que les nôtres les châtient et les rangent à leur devoir avec les autres disciples.
05. Il les faut engager par des petits présents, et par des privilèges conformes à leur âge, et il les faut animer surtout par des entretiens spirituels.
06. Qu'on leur inculque que ce n'est pas sans une providence divine qu'ils sont choisis parmi tant d'autres qui fréquentent le même collège.
07. En d'autres occasions, surtout dans les, exhortations, il les faut épouvanter par des menaces de damnation éternelle, s'ils n'obéissent à la vocation divine.
08. S'ils demandent constamment d'entrer dans là Société, que l'on digère de les admettre pendant qu'ils sont constants, que s'ils paraissent changeants, qu'on les ménage incessamment et de toutes sortes de manières.
09. Qu'on les avertisse efficacement de ne découvrir leur volonté à aucun de leurs amis, ni même â leur père et à leur mère avant qu'ils soient reçus; que s'il leur vient quelque tentation de se dédire, et eux et la Société seront en état de faire ce qu'ils voudront; et si on la surmonte, on aura toujours occasion de les animer, en leur rappelant dans la mémoire ce qu'on leur a dit, si cela arrive dans le temps du noviciat, ou après avoir fait de simples vœux.
10. La plus grande difficulté étant d'attirer les fils des grands, des nobles et des sénateurs, pendant qu'ils sont chez leurs parents qui les élèvent dans le dessein de les faire succéder à leurs emplois, il leur faudra persuader, plutôt par des amis que par des personnes de la Société, qu'ils les envoient en d'autres provinces ou dans des universités éloignées dans lesquelles les nôtres enseignent; après avoir envoyé des instructions aux professeurs, touchant leur qualité et leur condition, afin qu'ils gagnent leur affection envers la Société avec plus de facilité et de certitude.
11. Quand ils seront venus à un âge plus mûr, il faudra les porter à faire quelques exercices spirituels, qui ont eu souvent de bons succès parmi les Allemands et les Polonais.
12. I1 faudra les consoler dans leurs troubles et dans leurs afflictions, selon la qualité et les conditions de chacun, en employant des remontrances' et des exhortations particulières du mauvais usage des richesses, et de ne pas mépriser le bonheur d'une vocation, sous peine des supplices de l'enfer,
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13. Que l'on montre aux pères, aux mères, afin qu'ils condescendent plus facilement au désir de leurs enfants d'entrer dans la Société, l'excellence de son institut en comparaison des autres ordres, la sainteté et le savoir de nos pères, leur réputation parmi tout le monde, l'honneur et les applaudissements universels qu'ils reçoivent des grands et des petits. Qu'on leur fasse une énumération des princes et des grands qui, à leur grande consolation, ont vécu dans cette Compagnie de Jésus, qui y sont morts, et qui y vivent encore. Qu'on leur montre combien il est agréable à Dieu que les jeunes gens se consacrent à lui, surtout dans la Compagnie de son Fils, et combien il est bon qu'un homme ait porté le, joug du Seigneur en sa jeunesse; que si l'on fait difficulté à cause de la grande jeunesse, qu'on fasse voir la facilité de notre institut, qui n'a rien de fort fâcheux, excepté l'observation de trois vœux, et, ce qui est fort remarquable qu'aucune règle n'oblige pas, même sous peine de péché véniel.
Chapitre XIV
Des cas réservés et des motifs de renvoi de la Société
01. Outre les cas exprimés dans les constitutions, et dont le supérieur seul ou le confesseur ordinaire, avec sa permission, pourra absoudre, il y a la sodomie la mollesse, la fornication, l'adultère, l'attouchement impudique d'un mâle ou d'une femelle; et outre cela si quelqu'un, sous prétexte de zèle, fait quelque' chose de grave contre la Société, son honneur où son intérêt tous motifs légitimes de congédier ceux qui en sont coupables.
02. Si quelqu'un avoue en confession quelque chose de semblable, qu'on ne lui adonne pas l'absolution avant qu'il ait promis qu'il le déclarera au supérieur de lui-même ou par son confesseur; alors le supérieur agira au mieux de la Société; et si l'on a quelque espérance de cacher le crime, il faudra punir le coupable par une pénitence convenable ou le congédier au plus tôt; que cependant le confesseur se garde bien de dire au pénitent qu'il est en danger d'être mis dehors.
03. Si quelqu'un de nos confesseurs a oui de quelque personne étrangère qu'elle a commis quelque chose de honteux avec quelqu'un de la Société, qu'il ne l'absolve pas avant qu'elle lui ait dit, hors de la confession, le nom de celui avec lequel elle a péché; si elle le dit, qu'on la fasse jurer qu'elle ne le dira jamais à personne sans le consentement de la Société.
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04. Si deux des nôtres ont péché charnellement, que celui qui le déclarera le premier soit retenu dans la Société et l'autre congédié. Mais que celui que l'on retient soit ensuite si fort mortifié et si maltraité, que par chagrin et par impatience il donne occasion de le congédier, occasion qu'il faudra saisir aussitôt.
05. La Compagnie étant un corps noble et excellent dans l'Église, elle pourra retrancher d'elle-même ceux qui ne paraîtront pas propres à l'exécution de notre institut, quoiqu'on 'en fût satisfait au commencement, et l'on en trouvera facilement l'occasion si on les maltraite perpétuellement et que tout se fasse contre leur inclination si on les met sous des supérieurs sévères et qu'on les éloigne des études et des fonctions les plus honorables, etc., jusqu'à ce qu'ils viennent à murmurer.
06. Il ne faut retenir en aucune manière ceux qui s'élèvent ouvertement contre les supérieurs, ou qui se plaignent en public ou en secret de leurs confrères et ni ceux qui, auprès des nôtres ou des étrangers, condamnent la conduite de la Société, pour ce qui regarde l'acquisition ou l'administration des biens temporels ou ses autres manières d'agir; par exemple, de fouler aux pieds ou d'opprimer ceux qui ne lui veulent pas 'de bien ou qu'elle a chassés; etc., et même ceux qui dans la conversation' souffrent ou défendent les Vénitiens, les Français et les autres par lesquels la Compagnie a été chassée ou a souffert de grands dommages.
07. Avant de mettre dehors quelqu'un, il le faut extrêmement maltraiter, l'éloigner des fonctions auxquelles il est accoutumé, et l'appliquer à diverses choses. Quoiqu'il les .fasse bien, il le faut censurer, et, sous ce prétexte l'appliquer encore à une autre chose; pour une légère faute qu'il aura commise qu'on lui impose de rudes peines, qu'on lui fasse en public de la confusion jusqu'à le faire impatienter, et enfin qu'on le chasse comme étant dangereux pour les autres, et pour cela qu'on choisisse une occasion qu'il ne soupçonne pas.
08. Si quelqu'un des nôtres a une espérance certaine d'obtenir un évêché, ou quelque autre dignité ecclésiastique, contre les veux ordinaires de la Société qu'on le contraigne d'en faire un autre; c'est qu'il aura toujours de bons sentiments pour l'institut de la Société, qu'il en parlera bien, qu'il n'aura point de confesseur qui n'en soit, et qu'il ne fera rien qui soit de quelque conséquence qu'après avoir oui le jugement de la Société. Ce qui n'ayant pas été observé par le cardinal Tolet la Société a obtenu du Saint siège qu'aucun marrane, descendu des juifs ou des mahométans, n'y serait admis qui ne voudrait faire un semblable vœu et que, quelque célèbre qu'il fût on le mettrait dehors comme un violent ennemi de la Société.
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Chapitre XV
Comment il faut se conduire envers les religieuses et les dévotes
01. Que les confesseurs et les prédicateurs se gardent bien d'offenser les religieuses, ou de leur donner aucune tentation contre leur vocation; mais, au contraire, ayant gagné l'affection des supérieures, qu'ils fassent en sorte de recevoir au moins les confessions extraordinaires et qu'ils les entretiennent s'ils espèrent bientôt quelque reconnaissance pour eux. Car les abbesses, principalement les riches et les nobles peuvent beaucoup servir la Société, et par elles-mêmes, Et par leurs parents et leurs amis, en sorte que, par la connaissance des principaux monastères, la Société peut parvenir à la connaissance et à l'amitié de presque toute la ville.
02. Il faudra néanmoins défendre à nos dévotes de fréquenter des monastères de femmes de peur que leur manière de vivre ne leur plaise davantage, et que la Société ne soit frustrée dans l'attente de tous les biens qu'elles possèdent. Qu'on les engage à faire vœu de chasteté et d'obéissance entre les mains de leur confesseur; et qu'on leur montre que cette manière de vivre est conforme aux murs de la primitive Église, puisqu'elle éclaire dans la maison et qu'elle n'est point cachée sous 1e boisseau, sans que les âmes en soient édifiées; outre qu'à l'exemple des veuves de l'Évangile, elles font du bien à Jésus-christ en donnant à sa Compagnie. Enfin, qu'on leur dise tout ce qui se peut dire au préjudice de la vie Claustrale; et qu'on leur fasse ces instructions sous le sceau du silence, de peur qu'elles ne viennent aux oreilles des religieux.
Chapitre XVI
De la manière de faire profession de mépriser les richesses
01. Pour éviter que les séculiers ne nous attribuent trop de passion pour les richesses, il sera utile de refuser quelquefois les aumônes de moindre conséquence, que l'on offre pour les offices rendus par notre Société; quoiqu'il faille accepter les moindres des gens qui nous sont attachés de peur qu'on ne nous accuse d'avarice si nous ne recevons que les plus considérables.
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02. Il faudra refuser la sépulture aux personnes obscures dans nos églises, quoiqu'elles aient été fort attachées à la Société, de peur qu'il ne semble que nous cherchions des richesses par la multitude des morts, et que l'on ne voie le profit que nous faisons.
03. Il faudra agir fort résolument à l'égard des veuves et des autres personnes qui auront donné leurs biens à la Société, et avec plus de vigueur tout étant égal, qu'avec les autres, de peur qu'il ne semble que nous favorisions plus les uns que les autres, par la considération des biens temporels. Il faut même observer la même chose à l'égard de ceux qui sont dans la Société, mais avec toute sorte de prudence, afin qu'ils laissent au moins une partie à la Compagnie de ce qu'ils lui ont donné, ou qu'ils le lui lèguent par testament en mourant.
Chapitre XVII
Des moyens d’avancer la société
01. Que tous tâchent principalement, même en des choses de petite importance, d'être du même sentiment, ou au moins qu'ils le disent extérieurement; car ainsi quelque trouble qu'il y ait dans les affaires du monde, la Société s'augmentera et s'affermira nécessairement.
02. Que tous s'efforcent de briller par leur savoir et par leur bon exemple, afin qu'ils surpassent tous les autres religieux, et particulièrement les pasteurs, etc.; et qu'enfin, le vulgaire fasse que les nôtres fassent tout. Que l'on dise même en public qu'il n'est pas besoin que les pasteurs aient tant de savoir, pourvu qu'ils s'acquittent bien de leurs devoirs, parce qu'ils peuvent se servir du conseil de la Société qui, à cause de cela, doit avoir les études en grande recommandation.
03. Il faut faire goûter aux rois et aux princes cette doctrine que la foi catholique ne peut subsister dans l'état présent sans politique; mais en cela il faut employer beaucoup de discrétion. Par là les nôtres seront agréables aux grands et seront reçus dans les conseils les plus secrets.
04. On pourra entretenir leur bienveillance en transcrivant de tontes parts des nouvelles choisies et assurées.
05. II ne sera pas d'un petit avantage d'entretenir secrètement et avec prudence les divisions des grands, même en ruinant mutuellement leur puissance. Que, si l'on voit qu'il y a apparence qu'ils se réconcilieront, la Société tâchera d'abord de les accorder, de peur qu'elle ne soit prévenue par d’autres
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06. Il faudra en toute manière persuader au vulgaire principalement et aux: grands que la Société n'a pas été établie sans une providence divine particulière, selon les prophéties de l'abbé Joachim, afin que l'Église, humiliée par les hérétiques, soit relevée.
07. Après avoir gagné la faveur des grands et des évêques, il faudra se saisir des cures et des canonicats, pour réformer plus exactement le clergé qui vivait autrefois sous une certaine règle avec ses évêques et tendait à la perfection. Enfin, il faudra aspirer aux abbayes et aux prélatures, qu'il ne sera pas difficile d'avoir, si l'on considère la fainéantise et la stupidité des moines, lorsqu'elles viendront à vaquer ; car il serait avantageux à l'Église, que tous les évêchés fussent tenus par la Société, et même le siège apostolique, principalement si le pape devenait prince temporel de tous les biens. C'est pourquoi il faut peu à peu, mais prudemment et secrètement, étendre le temporel de la Société; et il ne faut pas douter que ce ne fût alors un siècle d'or, que l'on n'y jouit d'une paix continuelle et universelle, et que, par conséquent, la bénédiction divine n'accompagnât l'Église,
08. Que si l'on n'espère pas parvenir là, puisqu'il est nécessaire qu'il arrive des scandales, il faudra changer de politique selon le temps, et exciter tous les princes amis des nôtres à se faire mutuellement de terribles guerres, afin que l'on implore partout le secours de la Société, et qu'on l'emploie à la réconciliation publique, comme la cause du bien commun, et qu'elle soit récompensée des principaux bénéfices et des dignités ecclésiastiques.
09. Enfin, la Société après avoir gagné la faveur et la protection des princes, tâchera d'être au moins redoutée de ceux dont elle n'est pas aimée.
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